Revue Finance Grandes Ecoles-2010
Magazine Finance Grandes Ecoles
Le défi de la gestion des risques dans la globalisation des marchés
Skema Conseil s'entretient avec Michel-Henry BOUCHET, professeur de finance à SKEMA, et spécialiste du risque-pays dans le Global Finance Center (www.globalfinance.org )
• Skema Conseil : Comment la globalisation affecte-elle le risk management ?
• MHB : Elle modifie profondément l’analyse et la gestion des risques, car l’extension mondiale de l’économie de marché crée une véritable caisse de résonance où les déséquilibres s’amplifient et se propagent. L’ère de l’économie globale consacre la prédominance des flux sur les stocks. Ce qui circule est ce qui se valorise : l’information, la technologie, les ressources minières et pétrolières, les capitaux, les biens et les services. Par le canal des nouveaux outils de communication, l‘information est omniprésente et d’un coût presque nul. Mais la rencontre de l’information globalisée et des flux financiers trans-frontières est une combinaison explosive. La diffusion instantanée de l’information alimente aussi la spéculation et l’instinct grégaire des agents économiques. La globalisation tend à synchroniser les cycles de conjoncture des différents pays pour le meilleur pour le pire, avec un risque de contamination régionale et systémique liée à l’intégration des marchés et à la libéralisation financière dans les pays émergents.
• Skema Conseil : Comment « faire le tri » dans cette information ?
• MHB : L’analyste doit savoir gérer l’ »excès » d’une quantité considérable de données sur les marchés et sur la situation économique et socio-politique des pays. L’analyste des risques travaille dans un environnement souvent confus où persiste un « bruit de fond » permanent et parasite. L’information à la fois nourrit et perturbe donc l’analyse et la gestion du risque. La clé est alors de distinguer le bon indicateur de risque de celui, trompeur, qui ne reflète que le consensus ambiant, avec une volatilité liée aux phénomènes moutonniers et de sur-réaction. C’est tout le défi de transformer l’information brute en Intelligence économique, et c’est pourquoi Skema donne la priorité à l’Economie de la Connaissance et à la gestion des risques.
• Skema Conseil : En quoi le risque nouveau est arrivé ?
• MHB : Le risque se matérialise toujours par l’irruption brutale d’un événement, par définition, imprévu, en rupture soudaine avec une tendance passée. Des « tsunamis financiers » créent un risque, nouveau, de crise systémique. Cependant, la plupart des modèles d’évaluation et de prévision s’appuient sur les observations passées pour prédire l’avenir. La quasi-totalité des techniques de gestion des risques suppose une forme d’aléa moral dans le prolongement linéaire de ceux du passé : il s’agit d’un « hasard sage » qui justifie les calculs de moyenne. Or, la volatilité est si soudaine et si forte que le hasard devient « sauvage », dans la terminologie de Mandelbrot.
• Skema Conseil : Est-il alors plus simple de recourir aux agences de notation ?
• MHB : Les crises récurrentes depuis le début des années 80 ont rendu les économistes modestes sur l’anticipation des hausses de volatilité, et sceptiques sur la pertinence des notations. Myopie avant la crise, sur réaction au lendemain, opacité et conflit d’intérêt sont un ensemble d’éléments au cœur de la réflexion sur le rôle des agences. Moody’s conserve encore 18 pays notés AAA alors que Dagong a dégradé la France et les Etats-Unis !
• Skema Conseil : Et qu’est- ce qui caractérise le risque-pays ?
• MHB : Le risque-pays est une catégorie spécifique de la prise en compte de l’incertitude sur les marchés. Il émane de la capacité et de la volonté d’une contrepartie de faire face à ses engagements en totalité et à bonne date. Il regroupe donc des éléments à la fois économiques et financiers, mais aussi socio-politiques et institutionnels, nationaux et même régionaux, liés à tout type de transaction transfrontière. Pour un étudiant aujourd’hui c’est un domaine passionnant puisqu’il concerne aussi bien l’endettement américain et la stabilité menacée de dollar, que la gouvernance en Côte d’Ivoire, ou le cadre réglementaire de l’investissement en Chine !