“Le défi de l’épargne expatriée" - L'ECONOMISTE- TUNIS

Bouchet discusses how countries must cope with the expatriation of private domestic savings.

Le défi de l’épargne expatriée[1]

Une crise financière relève autant du systémique que du sismique : elle entraine des secousses qui se propagent longtemps et globalement. Une des conséquences les plus négatives de la crise financière et de ses ramifications pour les pays émergents, le Maghreb notamment, est l’effet d’éviction sur les marchés de capitaux. Ces derniers discriminent de plus en plus sur la base des notations d’agence, alors même que les déficits des pays développés font exploser les besoins de financement. Les flux de capitaux privés vers les pays émergents vont ainsi se réduire de moitié en 2010-2011 par rapport à leur sommet de 2007, à la veille de la crise : les pays d’Afrique/Moyen Orient n’en attireront que moins de 10%, soit environ $70 milliards, selon l’IIF à Washington. Face à cette nouvelle contrainte de financement, le rapatriement de la fuite des capitaux devient une priorité.

L’épargne expatriée par des résidents privés non-bancaires est un « manque à investir » qui maintient le niveau de croissance économique en-dessous de son potentiel. Nombre de pays en développement sont souvent pauvres en revenu par tête, mais riches en matières premières et en épargne déposée dans des banques étrangères. Ce qui lie ces deux phénomènes, c’est la mauvaise gouvernance. Les carences institutionnelles, une gestion macroéconomique hasardeuse, et le recours à l’endettement extérieur, alimentent les sorties de capitaux par un mécanisme pernicieux de « tourniquet » et d’aléa moral : un pays mal géré et instable politiquement ne peut offrir à sa population des opportunités d’investissement satisfaisantes, l’épargne passe alors à l’étranger, la croissance est financée par recourt à l’endettement extérieur, et celui-ci freine durablement le développement socio-économique.

Des travaux récents ont essayé d’identifier les causes profondes de l’expatriation de l’épargne.[2] On observe une nette relation entre de mauvais indices de corruption et de climat des affaires (mesurés par Transparency International et par la Banque Mondiale), et de forts volumes de dépôts privés dans les banques internationales (mesurés par la Banque des Règlements Internationaux) rapportés au PIB de pays africains. La fuite des capitaux peut alors être utilisée comme indicateur avancé de risque-pays. Deux groupes de pays se dessinent : le premier associe bonne gouvernance, climat d’affaires favorable et dépôts bancaires limités (Botswana, Afrique du Sud, Namibie, Tunisie, Ghana, Malawi, Maroc, Rwanda…), et un second fait converger corruption, climat d’affaires médiocre, et fuite des capitaux (Madagascar, Sénégal, Gabon, Gambie, Togo, Mauritanie, Cameroun, Zimbabwe, Côte d’Ivoire, Kenya, Congo, Zaïre…).

L’épargne expatriée des résidents privés non-bancaires tunisiens ne peut être assimilée à de la fuite des capitaux, car elle inclut des dépôts « légitimes » liés à des transactions commerciales et à des projets d’acquisitions. Une politique monétaire prudente, un système bancaire progressivement renforcé, l’inconvertibilité du dinar, et des indices de gouvernance que beaucoup de pays peuvent envier, ont limité ces dépôts pendant toute la période 1992-2001.

 

Le montant total des dépôts atteint quelque $1700 millions à fin-2009, selon la BRI. C’est l’équivalent d’environ 4,3% du PIB, un des niveaux les moins élevés des pays émergents, en Afrique notamment. Le très récent colloque de l’Economiste Maghrébin a mis en exergue l’ambition de faire de Tunis une place financière dynamique dans l’Euromed. Pour que cette ambition devienne bientôt réaliste, les banques tunisiennes devront affûter leur compétitivité pour encourager le rapatriement de cette épargne et concurrencer les banques internationales, principalement en Europe. L’enjeu est de stimuler l’investissement en Tunisie, à des fins de production, d’emploi, d’exportation, et de développement.

DOWNLOAD

Download PDF

[1] Michel Henry Bouchet, DEFI-Developing Finance, et Global Finance Center ; SKEMA Business School.

[2] Voir Cerra V. et alii. “Robbing the Riches: Capital Flight, Institutions, and Instability”, IMF Working Paper, October 2005, et Bouchet M. et Hario S. “Emerging Market Countries and Private Capital Outflows”, SKEMA-Global Finance Center, 2010.