Management, Globalisation et Economie de la Connaissance : Triangle Instable ? - SKEMA NEWSLETTER ENTREPRISES

Globalisation, Economie de la Connaissance, et Management :Triangle instable ?

1. La « loi » du marché ?

La Globalisation représente la prédominance de l’économie de marché, fondée sur la compétitivité et le profit, dans tous les pays et sur toutes activités de production et d’échange de biens et services. Ce qui devient global, c’est le champ de l’économie marchande qui recouvre l’ensemble des activités socio-économiques (industrie, finance, santé, éducation, art et culture…) et les transforme en transactions !

Dans un jeu à somme positive, et avec un minimum d’intervention étatique, le commerce et l’investissement doivent contribuer à l’allocation optimale des ressources par le marché et à l’expansion des richesses. Les produits fabriqués à moindre coût hors de l’espace national augmentent le pouvoir d’achat des consommateurs qui peuvent dépenser autrement ce qu’ils économisent, nourrissant ainsi la croissance et l’emploi en une dynamique vertueuse. L’économie est supposée être un domaine gouverné par des lois naturelles et universelles: le marché est a priori rationnel.

2. Le Nouveau Monde

Depuis les années 80s, de la combinaison des nouvelles technologies, du cadre incitatif de la libéralisation économique, et de la globalisation des marchés était attendue l’émergence d’une « Nouvelle économie », promouvant le capital humain et le développement durable. C’est en fait l’Hyperfinance qui s’est imposée avec une double émancipation, de l’économique par rapport au politique, et du financier par rapport à l’économique. La sphère financière et boursière s’est de plus en plus déconnectée de la base réelle de la sphère économique. La crise systémique de 2007-2011 est l’illustration la plus dramatique de cette finance en roue libre.  

La Globalisation est de plus en plus décriée. Pourquoi? D’abord, ce qui est global… englobe, dépasse et menace. Elle est vécue comme un processus irréversible sur lequel l’individu, et même l’Etat-nation, n’ont pas prise. C’est une sorte de Gorgone économique, aveugle et tentaculaire, dont les manifestations sont toutes marquées par un effet d’échelle: l’unité de mesure est le milliard de dollars, le million de chômeurs et le Mega-octet. Elle peut être interprétée comme le triomphe de l'ambition libérale anglo-saxonne de la création d’un « village planétaire » régi par les règles « démocratiques » du marché et dans lequel l’initiative individuelle est le véritable et unique pivot du progrès et de la richesse des nations. Ou au contraire, elle manifeste la sujétion du monde à un capitalisme sans contrôle, soumis aux seuls impératifs dictés par la maximisation du profit d’acteurs apatrides dans un marché sans horizon social ni temporel. Confronté aux deux phénomènes, on fustige la globalisation marchande du lundi au vendredi sous la pression constante des gains de productivité, et on l’applaudit en fin de semaine, quand on peut surfer sur Internet, voyager à bas prix et consommer une gamme de plus en plus large de biens et services.  

3. Une économie-bouilloire propice aux bulles

La globalisation marque la prépondérance des flux (de capitaux, d’information, ou d’échanges commerciaux) sur les stocks (de biens marchands, de main d’œuvre, de matières premières ou de connaissances). Le cacao et le café de Côte d’Ivoire, les minerais du Zaïre et de Madagascar, le sucre de Cuba et de la Jamaïque rapportent moins aux planteurs, aux cultivateurs et aux mineurs qu’aux négociants sur les marchés électroniques de la Bourse de Londres ou Chicago. De même, une innovation peut échapper rapidement à son inventeur et devenir une occasion de profit pour ceux qui vont en diffuser les composants sur les réseaux d’information. Ce qui se valorise est ce qui circule.

Ce triomphe des flux entraîne des risques nouveaux de volatilité, de spéculation, et de contagion des crises. La transformation d’une crise de solvabilité des ménages américains en une crise financière globale entre 2007 et 2011 montre que le système économique est devenu une chambre d’écho qui amplifie et propage les déséquilibres. De plus, la globalisation n’est pas un processus homogène : c’est un moteur plus performant pour la production que pour la distribution. Elle génère de graves effets d’asymétrie au sein des pays et entre pays car elle fonctionne comme une « centrifugeuse ».

4. Un concours de performance global permanent

Pour un pays, une entreprise ou une école, l’enjeu est de promouvoir un mode de management durable, qui puisse résister aux turbulences d’un marché globalisé. Il ne suffit pas d’être « productif » en rationalisant, il faut être compétitif en se différenciant. Quand un pays est compétitif, sa part de marché augmente dans le commerce et dans le capital mondial. Mais un pays peut être productif et peu compétitif (France, Norvège) et peu productif et très compétitif grâce aux coûts du travail, au taux de change et à la fiscalité (Chine, Corée, Mexique). Ainsi, un Français travaille en moyenne 12% de plus que son compatriote allemand, alors que son PIB par tête est moins élevé de 8%. Mais il travaille 30% de moins qu’un coréen alors que son PIB par tête lui est supérieur de près de 25%.  La productivité n’est qu’un ratio output/input ! Si un travailleur produit plus en travaillant moins, c’est l’intensité capitalistique et la R&D qui font la différence.

La compétitivité est évaluée par un concours de performance permanent. La globalisation s’accompagne d’une diffusion d’information tous azimuts qui procède d’une exigence de transparence. Le FMI a imposé aux pays des contraintes très précises de publication d’informations. Les entreprises doivent aussi diffuser des rapports de plus en plus normés sur leur stratégie, y compris en matière de gouvernance et de développement durable.  Les marchés de capitaux et les investisseurs exigent ainsi leur ration quotidienne de données chiffrées et d’analyses. Les agences de notation prétendent alors mesurer le risque sous la forme de classements qui déterminent les décisions d’investissement et les flux de capitaux. Seuls 16 pays sur près de 200 sont ainsi notés Triple A au début 2011. La France a été dégradée en l’été 2010 par l’agence chinoise Dagong au vu de ses modestes perspectives de croissance et de ses indicateurs d’endettement. La France est classée 31° par la Banque Mondiale (après la Lettonie) pour son environnement économique, et 25% (après l’Uruguay) pour son contrôle de la corruption. La globalisation impose ainsi un effort permanent d’excellence socio-économique et managériale sous la lumière crue des notations et des classements. Pour une école de commerce, les classements (dont celui édicté depuis 2003 par l'université chinoise Jiao Tong pour mesurer le niveau de recherche académique) sont un indicateur-clé de compétitivité pour recruter faculté et étudiants et pour négocier des partenariats stratégiques. La percée de SKEMA dans le Top 10 des écoles françaises et dans le classement du FT est la reconnaissance de sa stratégie globale.

5. Management et Globalisation

On n’est pas pour ou contre la Globalisation; comme la météo, on est victime ou bénéficiaire, selon la capacité de chacun à transformer l’information en intelligence économique, puis celle-ci en analyse et en décision stratégique. La maîtrise de l’information stratégique nourrit alors la connaissance et celle-ci nourrit l’échange par un jeu à somme positive. La Globalisation a ainsi mis l’Economie de la Connaissance au cœur des stratégies de compétitivité.  La connaissance oriente la croissance vers un modèle plus équilibré et mieux partagé. C’est un élément central de la nouvelle productivité : produire mieux et pas seulement plus, car la productivité est alors orientée vers la qualité et vers un impact maîtrisé de la production.

Le manager doit alors constamment arbitrer entre deux forces. D’un côté, une stratégie globale requiert de délocaliser une partie croissante du management dans la périphérie de l’entreprise. Il faut confier les clés du management à un nombre de plus en plus important de collaborateurs-partenaires. Il faut gérer « à distance », c’est-à-dire par la délégation du pouvoir, en promouvant une culture de l’échange et de l’innovation comme fruit des combinaisons de compétences grâce à une dynamique de réseaux. De l’autre, il faut compenser les « forces centrifuges » de la globalisation par une stratégie de résilience, c’est à dire par une réponse dynamique à un environnement en mouvance permanente. Sinon, l’entreprise globalisée est victime de l’ « Effet de Coriolis »[i]. Le management ne parvient pas à faire partager une vision stratégique, il ne fait qu’arbitrer des rivalités de territoire dans ses différentes filiales, et l’entreprise perd toute identité. D’où notre Théorème de force inertielle « de Coriolis » : Toute institution qui tire parti de la globalisation doit équilibrer les effets de force centrifuge par une gouvernance centrée sur la résilience et l’adhérence.

Pour une école qui enseigne à la fois la Globalisation et le Management, la priorité stratégique pour un management durable est de se différencier. Au-delà de l’enseignement des outils du management, condition nécessaire pour être productif sur le marché de l’emploi, une école doit sa compétitivité au partage de valeurs. Donner un supplément de sens à la globalisation suppose de promouvoir la gouvernance. Celle-là est au management ce que l’humanisme et l’éthique sont à la citoyenneté.  



[i] Ingénieur français du début du XIX° siècle, dont les travaux sur l’accélération de la force centrifuge marquèrent la balistique et la météorologie.