Comment reconstruire la Tunisie - LA CROIX

  Un prix Nobel d’économie américain (Edmund Phelps) rassemble toute son inspiration  pour proposer a la Tunisie « révolutionnaire » l’application d’un « modčle capitaliste de base 1.0 » fondé sur le libéralisme économique et l’initiative entrepreneuriale. Une recette qu’auraient appliquée avec succčs les pays anglo-saxons au tournant du XIX° sičcle pour développer un capitalisme « wébérien » orienté vers la libre concurr enc e e t l ’ inv e s t i s s ement productif. On ignore si les conseils d’Edmund Phelps sont le  fruit d’une longue réflexion sur l’évolution socio-économique de la Tunisie depuis la  colonisation française et les soixante ans de régime répressif qui ont abouti aux  carences institutionnelles et structurelles de l’čre Ben Ali, ou bien le fruit d’un week-end  de conférence dans un hôtel de Hammamet. 
     La Tunisie, aujourd’hui, n’a plus de repčres. Elle a moins besoin de conseils que  d’un sursaut de citoyenneté pour transformer sa fragile révolution en reconstruction nationale. Et aucun plan Marshall assorti de milliards d’euros d’aide au développement  ne remplacera l’exercice difficile de la démocratie qui rend l’exigence légitime mais l’impatience dangereuse. Le modčle économique basé sur le tourisme industriel, les  exportations a faible valeur ajoutée vers l’Europe et un déficit des comptes courants  financé par des investissements étrangers peu créateurs d’emplois est a bout de souffle. Ce modčle a produit de la croissance sans développement, de l’éducation sans emploi, et des inégalités sociales insupportables.
  L’année 2011 sera a tous égards une année dangereuse : année « double zéro » au  plan économique, social, politique et institutionnel, rendue encore plus fragile par le report de l’élection de l’Assemblée constituante. La Tunisie ne pourra ętre tirée par une Europe dont la croissance de moyen terme ne dépassera pas 2,5 %. Elle ne pourra  compter sur une reprise rapide et massive des investissements étrangers dans un contexte socio-politique volatil. Son tourisme n’est plus attractif que pour l’Europe de l’Est et grâce a un modčle de tarifs bradés qui méprise son patrimoine historique et culturel et qui minimise les revenus nets dans la balance des paiements.
  Que reste-t-il alors pour relancer la croissance ? La marge d’endettement extérieur est large car la Tunisie est peu et bien endettée avec un ratio de solvabilité de 50 % du PIB ; elle peut augmenter ce taux de 8-10 % (environ 5 milliards de dollars,  soit 3,5 milliards d’euros) a condition de bien canaliser ces flux de capitaux vers de  l’investissement productif en termes d’emplois, d’exportations et d’infrastructures  socioéconomiques au centre et dans le sud du pays. Elle peut compter sur la bonne volonté de partenaires européens qui souhaitent compenser l’aveuglement complaisant d’hier avec de l’aide bilatérale et multilatérale. La Banque mondiale tout comme la BEI ( Banque Européenne d’Investissement ) et la BAD ( Banque Africaine de  éveloppement) vont écourter les délais de déboursements pour soutenir une reprise dynamique.
Mais la question clé reste celle de la capacité institutionnelle a absorber ces flux tout en évitant l’écueil de la corruption et du populisme, qui ramčnerait alors le pays auxheures sombres avec lesquelles il veut en finir ! La désorganisation des ministčres, des gouvernorats et des municipalités et l’attentisme politique ne sont pas propices a unerelance par l’investissement. 
Le chemin passe donc par une pédagogie rigoureuse du gouvernement de transition, et par un « audit public » présentant objectivement les enjeux socio-économiques et politiques du pays. La porte sera alors ouverte a des réformes en profondeur et de longue haleine pour promouvoir une bonne gouvernance et un développement durable dans l’éducation, le tourisme, le systčme bancaire, l’emploi… et pour réconcilier enfin les Tunisiens avec leur pays.