Christine Lagarde manque peut-être de certaines compétences économiques nécessaires pour présenter une candidature pleinement autorisée au poste dedirecteur général du FMI. Il ne suffit pas de parler anglais avec un fort accent anglosaxon,ni d'avoir été ministre des Finances après un parcours de juriste en fusionsacquisitions,ni d'avoir coordonné plutôt bien les sommets financiers internationauxdans le contexte de la crise des subprimes puis de la déroute financière en Europe, nimême d'être une femme.
Son principal atout aujourd'hui est d'être française. Car l'enjeu est d'abord de solderl'affaire DSK, tout comme la France envoya d'urgence, à Londres en 1993, Jacques deLa Rosière pour solder la calamiteuse gestion de la Banque européenne pour lareconstruction et le développement (Berd) sous la présidence d'Attali.
À l'époque, Attali n'était accusé d'avoir violé quiconque, si ce n'est les règles de bonnegouvernance et de bonne gestion. Établie dès le printemps 1991 pour soutenir latransition socio-économique en Europe de l'Est fraîchement libérée de l'emprisesoviétique, la Berd se trouva très vite discréditée par la personnalité arrogante de sonpremier président, l'opacité de sa gestion, et des dépenses très éloignées de sonmandat prioritaire : encourager le développement de la démocratie et dudéveloppement durable, en finançant prioritairement des projets émanant du secteurprivé.
Une campagne de presse virulente, lancée par le "Financial Times", a mis en lumièreces dysfonctionnements majeurs. L'affaire des jets privés et du marbre de Carrare,dans le hall de l'institution, et l'autisme irresponsable d'Attali finirent par exaspérerles actionnaires, au premier chef les Anglo-Saxons, principaux actionnaires, quiexigèrent la démission du Français qui retraversa précipitamment la Manche. Sadémission scandale en été 1993 affecta cruellement la crédibilité de la France qui negarda in extremis la présidence de la nouvelle institution qu'en dépêchant untechnocrate de haut vol, à la rigueur toute wébérienne : Jacques de La Rosière quittala Banque de France pour reconstruire la légitimité de l'institution face au personnel,aux actionnaires et à ses clients européens.
1991-2011 : la France est de nouveau discréditée par le comportement délétère deson mandataire au FMI. La mission du Fonds dans des pays en difficulté socioéconomiqueet financière est pourtant toujours liée à une certaine forme d'austérité,de discipline et de transparence. L'article premier de sa charte stipule que la missionprioritaire est de "donner confiance à ses membres". Le Fonds encourage les paysauxquels il prête assistance à vivre au niveau de leurs moyens. Juste à ce niveau, sansexcès et donc sans déficit. Le contraire de l'hybris. L'antithèse du nouveau riche, enquelque sorte. L'antithèse du flambeur.
La mission du FMI est bien aux antipodes des manières de son dernier directeurgénéral qui clôt sur un scandale soixante ans de monopole européen. Il faut voir cettefin lamentable comme un raccourci du déclin de la légitimité politique et culturellede l'Europe. L'Europe a produit des concepts à usage universel depuis les Grecsjusqu'aux Lumières : démocratie, droits de l'homme et humanisme, destinée etmétaphysique... Elle a été exemplaire à plus d'un titre.
L'heure n'est plus aux leçons mais à la modestie. Dans sa lettre de candidature datéedu 25 mai 2011, Mme Lagarde relève avec justesse que "la légitimité et l'efficacité duFMI ne peuvent être tenues pour acquis et doivent être renforcées en permanence".Une bonne élocution, un sens de la repartie, une certaine froideur technocratique, unport altier utile pour les conférences, et une réelle capacité de travail devraientfermer aussitôt que possible la parenthèse DSK et faciliter la transition au futurdirecteur, selon toute vraisemblance, mexicain, brésilien ou malaisien. L'Europe devradésormais tenir son rang, juste son rang, dans une globalisation où les règles du jeusont de plus en plus entre les mains de pays émergents, jeunes, dynamiques, puissantset exigeants.