Au Panthéon de la profession la plus détestée par ceux qui ne l’exercent pas, les traders ont réussi le tour de force de supplanter les rentiers, pourtant taxés depuis des décennies – aussi bien par les citoyens lambda que par des Économistes de renom - d'être des acteurs improductifs du système économique. Il faut dire que le caractère oisif et légèrement profiteur du rentier n’est finalement rien comparé aux profits exorbitants engrangés par les traders et aux risques potentiels qu’ils font courir à l’économie mondiale en jouant avec sans états d’âmes.
Si l'on peut effectivement accuser les traders de la plupart des désastres économiques qui nous touchent aujourd’hui, on ne peut toutefois pas les accuser de mal faire le travail pour lequel ils sont payés, à savoir faire gagner toujours plus d'argent à leurs institutions et clients, quelle que soit le niveau de l'activité économique du moment. Dans cette compétition acharnée entre eux, les traders débordent même d'imagination et d'ingéniosité pour trouver les failles du système et inventer de nouvelles méthodes, toujours plus lucratives. Finalement, le procès des traders doit s'apparenter au procès de la quête de profits sans fin.
Ne nous voilons pas la face : le vice du jeu, et sa conséquence binaire (gain ou perte), est plus ou moins ancré en chacun de nous. On ne peut pas empêcher les gens de vouloir parier à des jeux de hasard pour gagner plus, que cela soit à la Loterie Nationale ou dans un casino à Las Vegas, même si cela se transforme généralement en moins, statistiques implacables obligent. Tant que cela reste dans la sphère privée et n'impacte pas des innocents, chacun doit être maitre de son destin et de son porte-monnaie, et assumer ses actes, fussent ils raisonnés ou pas.
Mais la liberté des uns s'arrête clairement là ou commence celle des autres. Dès lors, si on ne peut décemment pas empêcher les gens ou les institutions de jouer plus pour gagner plus, on peut par contre circonscrire leur ère de jeu en mettant en place un système et des pare-feux qui séparent de fait clairement les variables, et évitent ainsi que les conséquences de leurs erreurs de jugement ne se propagent.
De toute façon, d'un point de vue empirique, toute phase de croissance entrainera une hausse des spéculations boursières qui débouchera tôt ou tard sur un krach. L’interconnexion des économies et l’utilisation d'algorithmes / logiciels pour réagir automatiquement (le but étant de tangenter au mieux une action/réaction en temps réel) basés sur des modèles plus ou moins subtils jouent un effet multiplicateur, qui transforme un krach local en crise économique majeure en quelques secondes. Et cet "effet papillon" devient de plus en plus puissant à chaque fois.
En matière de marché financier, il y a donc urgence à séparer la "sphère réelle" (les prêts aux particuliers et ceux destinés à des investissements productifs) et la "sphère virtuelle" (les différents montages financiers visant à gagner plus que la normalité économique du moment ne le permettrait). Ainsi, l'activité économique productive ne sera pas impactée par les soubresauts des jeux financiers de quelques sorciers/idoles temporaires.
Comment faire? Il faudrait que le financement lié à la "sphère réelle" relève exclusivement de l'État. Au-delà de la préservation des activités économiques et de la protection des citoyens, un autre avantage en découle : les taux d’intérêts appliqués pourront être directement contrôlés, et donc servir à piloter l'économie. Quant aux profits générés, ils pourront servir à financer les besoins fondamentaux des citoyens (retraites, régimes de sécurité sociale,…) et les urgences du moment (plan de relance, investissements stratégiques…) sans pour autant recourir une fois de plus à l’impôt.
Pour la "sphère virtuelle", tout n'est que question d'amplitude et de volume de transactions. Il faudrait donc que des firmes spécialisées (et accréditées) s'en chargent, mais en leur imposant un volume fixe de transactions par an. Une sorte d'autorégulation, permettant d'éviter la multiplication des "coups" pour maximiser les chances de profits suite à des placements douteux.
Paradoxalement, le capitalisme à tout à gagner à une telle dichotomie: les firmes, qui génèrent croissance et emplois, disposeront d'une plus grande stabilité financière. Dans le contexte actuel de crise, et compte tenu des réticences des USA à faire évoluer les règles du jeu, l’Europe a désormais la possibilité historique de prendre la main sur l’économie financière du XXIème siècle en proposant un nouveau modèle de croissance pérenne. Celui-ci conjuguera une stabilité économique accrue et le respect des libertés individuelles, tout en apportant des marges de manœuvres décisionnelles et financières, et donc un rôle accru, aux dirigeants.