Risque et transparence financière L’An 3 de la Révolution: Où en est la Tunisie?

La transparence est le contraire de l’opacité, L’opacité est au coeur de l’incertitude, et celle-ci génère lerisque, Le risque est toujours le produit d’un déficit d’information et d’Intelligence économique. Laransparence est essentielle au fonctionnement des marchés car elle conditionne la confiance, et donc tl’échange dans un environnement de bonne gouvernance. Toutes les crises financières depuis un demi-siècle,quelle aient été bancaires ou d’endettement, ont toujours été le produit d’une combinaison d’opacité et devolatilité. A l’inverse, le couple transparence et gouvernance est la condition de la transformation dudynamisme économique en développement durable.

La littérature académique s’est penchée sur la question de la transparence, notamment depuis les travauxde Frank Knight (1921) qui établit une distinction fondamentale entre risque et incertitude : le risque peutêtre probabilisé, mais pas l’incertitude. Une incertitude « knightienne » est une situation où non seulementl'avenir n'est pas connu, mais il ne peut l'être. Cette distinction marque le refus de l’hypothèse néo-classiquede la transparence de l’information, complète, accessible, gratuite et immédiate, de tous les agents sur tousles autres. Simultanément, Keynes dans son « Treatise on Probability » (1921) met en exergue le rôle des« esprits animaux » et de l’instinct grégaire pour souligner la montée des bulles spéculatives, la volatilité etla nature non-linéaire du risque: l’information est la clé! Mandelbrot (1970) poursuivra cette analyse avec lerôle des fluctuations aléatoires par rapport aux moyennes à long terme et à la loi des grands nombres. Sadistinction entre hasard bénin et hasard sauvage l’amène à conclure que, en environnement d’opacité, à unrisque de marché vient s’ajouter un risque de modèle!

Puisque le risque est nourri d’un déficit d’information, une mesure du risque est la disponibilité-mêmed’information. Depuis les années 90s, on observe un effort concertée des IFIs et des banques centrales pouraméliorer la transparence au triple niveau des produits financiers, des marchés et des pays. Cette exigence estd’autant plus importante qu’à tout moment, 190 pays, développés et émergents, sont en concurrence pourmobiliser un volume limité de capitaux globalisés, et que les pays de l’OCDE captent à eux seuls plus de lamoitié de ces capitaux (et les Etats-Unis un tiers). La Tunisie, quant à elle, a souscrit aux engagements duSpecial Data Dissemination Standard imposés par le FMI en 1996 pour les pays qui ont accès aux marchésdes capitaux. Et la Banque Mondiale mets désormais l’accent sur la « nouvelle transparence » avec unepriorité au renforcement des institutions et de la société civile au Maghreb. Son crédit à la Tunisie de $500million en 2012-13, ajouté à un cofinancement de $700 million BAD/UE/PNUD, vise à renforcer la qualitéde l’information, la gouvernance et la transparence. Or il reste un effort décisif à faire de la part des autoritéstunisiennes pour améliorer la transparence de l’information économique et financière. Ainsi, les statistiquesde la BCT ne présentent les Comptes de la Nation que pour 2011 (en mai 2013), de même que l’encours et leservice de la dette extérieure à fin 2011 = D 25391 milliards ($17 milliards), soit 39% PIB. Pour la mêmeannée, les données du FMI font état de $22 milliards, soit 51% du PIB. L’analyste du risque-pays donneraainsi la priorité aux données collectées auprès des créanciers de la Tunisie, avec un encours total de detteextérieure à fin-2012 d’environ $24 milliards, soit 55% du PIB.

La nécessaire transparence en Tunisie est l’objet d’un très récent rapport de la BAD qui souligne quemême si l'ancien régime appartient au passé, les faiblesses institutionnelles n'ont pas encore été résolues.Depuis la révolution, la confiance à l'égard du système judiciaire et de l'environnement réglementaire ne s’estpas améliorée (ce que le FMI nomme « a fair business environment to encourage investment”). Lapersistance de pratiques de marché inéquitables et anticoncurrentielles se traduit par un manque detransparence, par la collusion, et par des abus de position. Cette situation est reflétée par le rang de 79 de laTunisie dans le classement de la corruption (Transparency International)

En conclusion, le risque-pays tunisien conjugue fragilité macro-économique et volatilité socio-politique,sous l’analyse critique et vigilante des agences de notations. La reconstruction socio-économique etinstitutionnelle doit faire évoluer la priorité de « Dégage! » à « Engage! » ; enfin un renforcement de latransparence et de la gouvernance seront les bases d’un développement durable, et de l’obtention du « Statutavancé » de partenariat avec l’UE, qui peut offrir financements et marchés à la Tunisie, tout en observant quela diversification produits/marchés de la Tunisie est la condition nécessaire du dynamisme économique.

Michel Henry Bouchet

SKEMA & North Sea Global Equity Management