Les MOOC (Massive Open Online Courses) commencent à se répandre en France. La plate-forme dédiée, France université numérique (FUN), créée par le ministère de l'Education nationale, réunit aujourd'hui une vingtaine de programmes. Pour l'heure, la majorité d'entre eux sont proposés par des universités, mais aussi par des écoles d'ingénieurs (Polytechnique, Ensam...).
La séance d'ouverture du MOOC de Skema, à Puteaux, animée par le professeur Michel-Henry Bouchet, Les écoles de management, de leur côté, s'y mettent également. HEC a été la première, avec un cours intitulé "Comprendre l'Europe", sur Coursera. EM Lyon a suivi, avec un programme dédié à l'entrepreneuriat. Plus récemment, deux autres business schools se sont lancées : l'Essec avec un cours consacré à la prise de décision en environnement complexe, avec le concours du philosophe Edgar Morin, et Skema, avec un MOOC sur la globalisation, avec un contenu très dense. Chaque école s'efforce donc de proposer un MOOC sur un thème où elle possède une forte légitimité, et qui est susceptible de doper sa notoriété.
Michel-Henry Bouchet, professeur de finance à Skema Business School et animateur du MOOC de l'école, explique le fonctionnement de ce programme, à l'occasion de sa conférence inaugurale.
Vous venez d'organiser la séance inaugurale de votre MOOC, au théâtre de Puteaux, près de Paris. Pourquoi avez-vous décidé de lancer un programme de ce type ?
Nous souhaitions, comme d'autres institutions, tester ce type d'enseignement, et notamment expérimenter les différentes plates-formes numériques disponibles. Le MOOC est aussi une façon de stimuler les échanges entre les étudiants, entre étudiants et professeurs, et aussi entre les étudiants et les entreprises. C'est un nouvel outil pédagogique, que nous voulions expérimenter.
Et pourquoi avoir choisi le thème de la globalisation ?
Il faut d'abord rappeler que Skema est très présente à l'international. Elle possède un campus en Chine et un autre aux Etats-Unis, elle accueille de nombreux étudiants internationaux... Nous avons une réelle légitimité dans ce domaine. Choisir le thème de la globalisation, c'est une façon de renforcer notre crédibilité.
Ensuite, nous voulons que nos diplômés soient mobiles, capables de travailler partout dans le monde. Pour cela, ils doivent comprendre les mécanismes de la globalisation, c'est-à-dire l'extension de l'économie de marché à toutes les activités de produits et de services, dans l'ensemble du monde. Ils devront être capables de réactivité et d'anticipation dans leur vie professionnelle. Pour faire la différence sur les marchés, les savoirs techniques traditionnels ne suffisent plus : il faut maîtriser les règles de l'économie globale. Skema n'est pas une école de science politique, mais nous devons apporter un éclairage sur ces sujets.
N'existe-t-il pas déjà des produits analogues ?
Il existe des MOOC sur la dimension stratégique de la globalisation, ou sur les marchés financiers globaux, ou encore sur la géopolitique... Mais à ma connaissance, on ne trouve pas vraiment de MOOC liant ces trois dimensions. Notre MOOC s’appuie sur une équipe d'enseignants de Skema, en France, aux Etats-Unis et en Chine.Nous sommes partis d'un cours qui existait déjà depuis plusieurs années et qui était très apprécié de nos étudiants, mais que nous avons énormément modifié.
Concevez-vous ce MOOC comme un outil de promotion pour l'école ?
Il peut être, en effet, un outil qui contribue à renforcer la notoriété de l'école, et donc qui aide à attirer des étudiants ou des participants en formation continue. Mais pour l'heure, il s'agit d'abord d'une démarche expérimentale.
Comment fonctionne ce programme ?
Il s'agit d'un cursus déployé sur trois semaines, en anglais, et accessible sur la plate-forme Udemy. On y trouve des parties en présentiel, mais aussi des vidéos, des tests d'évaluation, des travaux de groupe, des documents divers... Chacun peut suivre le cours à son rythme. Et c'est entièrement gratuit pour tous.
En quoi est-il différent d'autres formations en ligne ?
Il ne s'agit pas d'un MOOC classique, entièrement en ligne. Nous y avons ajouté une partie significative en présentiel, y compris avec le concours de nos enseignants à Raleigh, aux Etats-Unis, et à Suzhou, en Chine. La conférence de lancement, notamment, a eu lieu sur chacun de nos cinq campus, devant les élèves.
A qui s'adresse ce programme ?
D'abord à nos étudiants de troisième année - pour eux, le programme est obligatoire. Mais aussi à nos alumni, aux entreprises proches de l'école, et plus largement à un public étranger. Nous avons ainsi des inscrits péruviens, américains... Le périmètre n'est pas fermé. Au total, nous espérons atteindre plus de 2000 inscrits.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons beaucoup observé ce qui se pratiquait ailleurs - en France, mais surtout en Asie et aux Etats-Unis...
Quel est le coût de cette initiative pour l'école ? Est-ce un investissement rentable ?
Tout dépend de ce que l'on intègre dans le coût. Pour l'heure, il s'agit d'une initiative à titre expérimental. Ce qui est certain, c'est que cela demande un énorme engagement du corps enseignant en amont du cours. Par la suite, des économies d'échelle sont sans doute possibles.
Est-il possible pour une école française d'exister vraiment sur un "marché" des MOOC déjà bien occupé par des mastodontes anglo-saxons ?
Oui, si l’on va au-delà d’un contenu académique, même de qualité, mis en ligne et sous la forme de vidéos, et qu’on l’enrichit avec du présentiel, du coaching, et un maillage d’interactions entre participants et avec une équipe de professeurs mobilisés.
Beaucoup d'acteurs, après l'enthousiasme initial, s'interrogent aujourd'hui sur le modèle économique des MOOC. Comment envisagez-vous de rentabiliser ce type de programme ?Il y a trois aspects à prendre en compte. D'abord, la crédibilité : un MOOC permet de recruter de nouveaux étudiants - notamment en Chine ou aux Etats-Unis. Ensuite, il existe un effet de levier sur la formation executive : à la suite de cette initiative, des entreprises peuvent nous approcher pour des programmes de formation continue de haut niveau. Enfin, une partie des coûts du MOOC pourrait être absorbée par la mise en place d'une certification à l'issue du programme.
Quelles ont été les premières réactions des étudiants ?
Elles sont très positives. Dès la première séance, nous avons eu beaucoup de questions - beaucoup plus que nous en attendions. Nous avons eu des questions parfois très techniques sur la macro-économie, d'autres d'ordre géopolitique... Les élèves ont beaucoup apprécié l'accès très aisé au support sur la plate-forme. Dès le week-end précédant le premier cours, ils se sont connectés. Ils ont aussi apprécié de pouvoir rencontrer les professeurs et débattre des sujets traités pendant le cours.
Quel bilan tirez-vous de cette première expérience ?
Nous n'en sommes encore qu'au tout début. Ce qui est certain, c'est que créer un MOOC est une activité très chronophage, et qui réclame une très forte implication personnelle des professeurs. Il y a un énorme travail à accomplir avant le lancement. Dès le mois d'octobre, nous allons procéder à une évaluation approfondie, et à une adaptation, si nécessaire, pour la rentrée prochaine. Dans tous les cas, chaque participant va évaluer ce premier MOOC et nous disposerons donc d’un « retour » très utile pour affiner et renforcer.
Vous envisagez donc une suite...
Nous envisageons en effet de poursuivre l'expérience. Notre prochain MOOC, en 2015, pourrait être consacré au "risque pays" - avec une partie ouverte à tous, et une autre dédiée aux entreprises, avec des études de cas. Mais au-delà du contenu, nous devons bien réfléchir aux changements à apporter à notre dispositif. Nous pourrions par exemple instaurer une certification. Dans ce cas, le MOOC deviendrait sans doute payant pour les inscrits externes. Nous étudions aussi la possibilité de faire travailler ensemble des groupes d’étudiants inter-campus.
Cela signifie-t-il que les MOOC vont occuper une place croissante dans l'offre de Skema ?
Si le retour est positif, d’autres MOOC pourraient en effet être développés, selon les thématiques les plus pertinentes. Mais Skema ne va pas pour autant devenir une école uniquement axée sur les MOOC !