Moocs, un outil de formation continue ?

Espoirs et circonspection autour d’un modèle qui se cherche encore, sur le plan économique comme pédagogique.
Les managers vont-ils désormais utiliser les Moocs (massive open online courses) pour booster leur carrière, “updater” leurs compétences, améliorer leurs connaissances ? Malgré un modèle économique encore balbutiant, ces nouvelles formations en ligne représentent un bon outil pour se former tout au long de la vie. Les grandes écoles – business school et écoles d’ingénieur – présentes sur ce terrain en matière de formation initiale devraient proposer des programmes de plus en plus ciblés pour ces élèves pas comme les autres… Entreprises et responsables de formation manifestent un intérêt encore timide, mais croissant. Les promesses de perfectionnement individuel, souple, efficace et attrayant ne se concrétiseront qu’à la maturité de cet instrument pédagogique qui se cherche encore.

par Angela Portella

La classe inversée – an II – marquerait-elle l’ère des interrogations, des doutes et des débats sur la pertinence des Moocs ? Révolution pour les uns, effet de mode pour les autres, l’offre est pourtant d’ores et déjà florissante sur des plateformes devenues incontournables – Udacity, Coursera, Edx, France Université Numérique – et des grandes écoles de plus en plus innovantes et mobilisées sur ces développements. Pourtant, l’utilisation de ces cours gratuits, disponibles en ligne et ouverts à tous, initialement mis en place par les grandes universités américaines, n’en est qu’à ses balbutiements dans le cadre de la formation continue.

Les grandes marques de l’enseignement supérieur ont quasiment toutes fabriqué leurs Moocs : Centrale Lille, Polytechnique, HEC, EM Lyon, Sciences Po, Audencia… pour ne citer que les leaders de ce marché naissant. Il existe en effet des milliers de cours représentant une offre foisonnante mais encore peu structurée, où l’on ne sait vraiment trier le bon grain. Certes, le prestigieux Mooc du CNAM intitulé “Du manager au leader” a réussi à séduire 36 000 inscrits dont 20 % d’entre eux sont allés jusqu’aux derniers cours ; mais c’est loin d’être le cas de tous.

Beaucoup d’entre eux enregistrent un taux élevé d’abandon. Sans doute en raison d’une mauvaise évaluation des besoins d’encadrement pour ces cursus de formation continue, pour lesquels coopération et échanges entre professionnels sont partie intégrante de l’apprentissage. Pour Georges Nikakis, directeur de la formation continue au sein de l’IPAG, “les Moocs ont été inventés par des universitaires dont le mode d’enseignement est à l’opposé de la formation continue, basée, elle, sur des interactions entre professionnels qui échangent sur les mêmes pratiques. En raison de son caractère encore trop académique, ce phénomène ne fait donc qu’effleurer, pour l’instant, les frontières de la formation continue”.

Même son de cloche du côté de Thierry Karsenti, de l’Université de Montréal, auteur de l’article “Les Moocs, révolution ou simple effet de mode” publié dans la ‘Revue internationale de technologies en pédagogie universitaire’ : “Il n’y a pas de formation continue s’il n’y a pas de démarche incitative. Si on ne démontre pas qu’au niveau de la progression de carrière, c’est vraiment intéressant. Pour s’imposer réellement, les Moocs doivent pouvoir le proposer, or pour l’instant, ils sont surtout une vitrine pour les universités ou les grandes écoles. Le manque de certification officielle rend également le Mooc encore suspect aux yeux de beaucoup. Pourtant, il permet d’anticiper certaines formations. Si son format est court, il peut servir à sonder l’intérêt d’un contenu, et amener le candidat à prolonger sa formation de façon plus classique”.

Pour l’instant, l’offre est très largement calée sur les méthodes pédagogiques des cours universitaires. Avec leurs longues sessions, sans doute trop longues pour celui qui se forme de façon autonome, seul devant son ordinateur. “Il faut faire COURT et pas COURS !”, ajoute Thierry Karsenti. Les fabricants de Moocs vont-ils tirer les leçons de cette période d’apprentissage pour faire évoluer leur offre ? Selon Xavier Bonduelle, président de l’IMDRH (l’Institut du management des ressources humaines), “avec les Moocs, nous sommes au cœur d’un débat qui oppose une pratique ancienne de la pédagogie, à des méthodes plus modernes. On leur reproche notamment de ne pas être assez contrôlants. Mais pour une formation de 300 ou 400 heures de cours, est-on évalué tous les jours ? Nous raisonnons encore sous le prisme d’une pédagogie où l’apprenant doit se tenir assis, dans une classe, parmi une cinquantaine, voire une centaine d’élèves, face à un enseignant qui évalue et qui garde la maîtrise. Les Moocs sont à l’opposé de cela: synonymes de confiance, de responsabilisation… et de plaisir. On apprend pour se faire plaisir, pas parce que l’on y est obligé.”

Conséquences: s’ils veulent se faire une place appréciable dans les instruments de la formation dite continue, ces fameux cours en ligne doivent encore s’adapter afin de mieux coller à la demande. Le modèle se cherche encore.

Comment adapter les offres aux besoins des entreprises ?
Comment sortir de la querelle entre anciens et modernes ? “Ils pourraient devenir des briques s’empilant, de façon complémentaire, sur d’autres modes de formation, le présentiel et le e-learning, commente Xavier Bonduelle. Le Mooc deviendra alors un point de départ, pas une finalité.” Encore frileuses, les DRH des entreprises ne savent pas bien quelle position adopter face à cette nouvelle façon d’apprendre. Elles commencent toutefois à s’intéresser à la possibilité de co-créer – ou de commander – des modules de formation courts à des grandes écoles ou organismes de formation, sur leurs spécificités, lorsque, sur des questions pointues, le diplôme certifiant n’existe pas.

Pour Yves Schemeil, professeur de sciences politiques, animateur d’un Mooc à Sciences Po et à Grenoble École Management, “la France est plutôt en retard sur le numérique, même si les grandes écoles et tous les IEP [Instituts d’études politiques, ndlr] possèdent des plateformes sur lesquelles sont déposées des ressources. L’offre gagnerait à se spécialiser davantage, avec notamment la possibilité de se former à son rythme, grâce à des modules plus courts, plus encadrés, par petits groupes, et dans le cadre de projets réalisés sur 3 à 6 mois, un an maximum. Les participants seraient jugés ensuite par les formateurs.” Une formule plus adaptée aux managers : toutes les connaissances de base seraient acquises grâce à la plateforme digitale, mais les compléments et lacunes (éloquence, travail argumenté, débat, synthèse…) seraient pris en charge par le biais du tutorat.

“La demande en formation continue selon ce schéma est croissante”, ajoute-t-il. Marie Ducastel, directrice d’Abilways, organisme de formation multi-spécialiste présent dans divers secteurs (médias, droit, finance, comptabilité, banque, assurances, management, développement personnel…), confirme : “la demande des entreprises a évolué vis-à-vis des Moocs, plutôt sur l’information pour l’instant, pas forcément sur la formation. Ils permettent en effet de communiquer sur un sujet, avec un degré d’information et de formation en interne. Pour l’externe, il s’agit de sensibiliser leurs clients potentiels”. Elle ajoute : “les expériences peuvent se compléter, pas forcément s’opposer”. D’où le succès des COOCs – Corporate open online courses –, ces modules spécifiques à un groupe ou à un secteur, destinés aux entreprises : ils intéressent de plus en plus les grandes enseignes. Et des SPOCs – Small private online course – aussi, modules sur mesure destinés à un petit groupe de travail au sein d’une entreprise ou d’un service.

Le mix massif
Autre révolution en marche, l’arrivée de solutions hybrides permettant l’utilisation de Moocs en apprentissages mixtes : une partie des cours a lieu en ligne, l’autre partie en classe, sous forme de présentiel, si cher à la formation continue. C’est le cas du Mooc “Premium” dispensé au sein de la Skema Business School, mélange de contenus vidéo et de coaching, avant, pendant et après la cession. Il a déjà séduit 3 000 participants. Son créateur, Michel-Henry Bouchet, le confirme : “les ingénieurs qui souhaitent devenir managers s’en servent comme d’un vrai tremplin, grâce notamment à cette partie coaching qui pourra largement s’inscrire, à l’avenir, dans le cadre de la formation continue. Nous sommes convaincus que le Mooc peut-être un outil de formation tout au long de la vie, à condition d’être adapté”.

Autre expérience originale, celle menée par le groupe Inseec qui vient de lancer un eMovie Learning intitulé “Le Luxe c’est Vous”, première plateforme communautaire internationale autour de l’expérience client. Ouvert à tous, mais destiné en priorité aux collaborateurs, ainsi qu’aux entreprises qui souhaitent mettre en place des modules de formation, il répond à un besoin, pour des personnes déjà salariées, en reconversion, ou qui souhaitent se perfectionner. Au programme : 11 épisodes d’une série mêlant fiction et réalité autour de l’expérience client, qui amène l’utilisateur aux quatre coins du monde. Au terme de la formation, les candidats sont certifiés “Luxury Attitude”, un programme en formation continue de l’Inseec. “Cette formation certifiante a nécessité 3 ans de développement et plusieurs millions d’euros d’investissement”, commente Hervé de Gouvion Saint-Cyr, directeur de l’école. Elle est payante – 250 euros pour les 11 épisodes – et des entreprises, notamment dans le secteur de l’hôtellerie, s’intéressent déjà à ce module ludique, qui place le candidat dans le plaisir d’apprendre et non dans la contrainte.

Quel business model ?
La gratuité reste le principe de base de ces cours ouverts à tous, mais ces évolutions vont également dans le sens d’une logique implacable : celle qui consiste à rentabiliser l’investissement – la création d’un Mooc – à moyen terme. En allant dans le sens de la spécificité, en créant des modules spéciaux pour les entreprises donc, mais aussi en délivrant des certifications payantes.

Avec un tarif se situant entre 50 et 300 euros, le Mooc permettrait aux candidats d’obtenir un titre et de rassurer les DRH. Yves Schemeil en témoigne : “50 000 à 100 000 euros environ sont nécessaires pour la première édition d’un Mooc, en fonction de sa durée. Dès cette première étape, c’est un outil de communication fabuleux avec une visibilité énorme ! Nous avons eu près de 40 000 vues sur les teasings de nos Moocs. En supposant que l’on mette en place des frais d’inscription, même minimes (l’EMLyon proposait l’année dernière une inscription à 4,50 euros), multipliée par 10 000 inscrits, l’investissement commence à être rentabilisé dès la première année, grâce à la communication et le bouche-à-oreille que cela engendre”.

De petites gouttes d’eau qui feront peut-être un océan ? Grenoble École Management pratique, elle, déjà la certification payante – 100 euros – mais Jean-François Fiorina, directeur adjoint de l’école, a sa stratégie pour en faire un vrai relais de croissance : “Nous allons fabriquer des Moocs à la demande des entreprises, dans le cadre de la formation continue, en faisant agir ces dernières sur leur labellisation. Ainsi, dans le flux d’offre, l’entreprise labellisera tels ou tels modules. Le salarié souhaitant se former aux frais de l’entreprise choisira un cursus labellisé. Nous prévoyons également d’ici 2 à 3 ans, la création de Spocs et de Coocs à destination des entreprises. Enfin, d’ici 4 à 5 ans, une dernière forme possible de Moocs consisterait à mutualiser ressources et dépenses. Si un grand groupe de distribution veut former l’ensemble de ses managers du monde entier aux entretiens d’évaluation, l’entreprise et l’école collaboreront en partageant le coût du programme, et en l’adaptant, ensuite aux besoins de chaque pays, chaque équipe, chaque service”.

Autres exemples d’investissement, le Mooc de Skema Business School a mobilisé 12 personnes depuis 2-3 ans (professeurs, techniciens, spécialistes de la vidéo etc.), dont 8 à plein-temps, pour sa mise en place. Un investissement susceptible de refroidir l’enthousiasme de certaines écoles, comme en témoigne Jean-Louis Allard, directeur du Cesi : “nous n’avons pas pris le tournant des Moocs pour plusieurs raisons, dont l’investissement financier trop important pour nous. Mais aussi parce que dans nos centres de formation, il n’y a pas d’amphithéâtres, même virtuels ! La formation continue des ingénieurs, ce sont des promotions de 30 à 50 candidats, divisés en petits groupes. Pour autant, les Moocs ne s’opposent pas au présentiel car aujourd’hui, la pédagogie se diversifie. Nous utilisons aussi le ‘crossknowledge’, un catalogue de e-learning avec des modules permettant de préparer les candidats sur des problématiques développées en cours. Cela permet de créer un travail en intercessions : les candidats découvrent une capsule e-learning avant la séance de présentiel, puis ils échangent”.

Le temps d’apprendre
Au-delà du coût, le perfectionnement des managers doit surtout prendre en compte le temps qu’ils y consacrent. Permettre à chacun d’apprendre à son rythme et quand il le veut –notamment hors temps de travail –, voici encore l’une des promesses de ces cursus en ligne. “Ceux qui marchent le mieux sont ceux qui sont passés du Mooc 1.0 au 2.0, commente Stéphane Diebold, président de l’Affen (Association française pour la formation en entreprise et les usages numériques), ceux qui sont passés de la seule mise à disposition de ressources, à un véritable social learning”. Et d’ajouter : “Le secret d’un bon Mooc ? savoir laisser davantage de place aux apprenants qu’au savoir, inverser la pyramide des savoirs afin de placer l’apprenant dans une nouvelle posture, allant jusqu’à réinterroger de façon très intéressante le rôle des formateurs”. Une pédagogie qui va dans le sens d’une idée à laquelle de plus en plus d’entreprises adhèrent : le télétravail est tout aussi productif – voire plus – que le présentiel.