- Le Monde d’hier
Le message du testament de Stefan Zweig en 1942 concluait que Le Monde d’Hier était désormais révolu. Aujourd’hui, un demi-siècle de hausse spectaculaire du pouvoir d’achat, soutenue par la croissance économique et le progrès technologique, apparait comme une aberration historique propice à la nostalgie. Un spectre hante Ie monde, celui d’une globalisation non maitrisée, avec des menaces de nationalisme et de protectionnisme, et la frustration de bénéfices mal répartis. Aux écarts de richesse croissants entre pays comme au sein des espaces nationaux, s’ajoute la menace d’un ralentissement de la croissance économique, qui pourrait transformer ressentiments en turbulences socio-politiques.
Cet avenir incertain requiert une analyse prospective rigoureuse afin de ne plus regarder le futur avec un rétroviseur, car il n’est plus le prolongement du passé. La globalisation rebat les cartes en permanence. Un portefeuille de compétences techniques, aussi pointues soient-elles, -finance d’entreprise, gestion de projet, business plan, marketing et management- n’est plus suffisant pour se différencier et créer les conditions d’une stratégie performante et durable. Pour ses étudiants et jeunes professionnels, SKEMA a donc décidé qu’aucun étudiant ne serait diplômé sans un bon entendement des défis de la globalisation de l’économie de marché. Ceci à travers un MOOC qui, aujourd’hui, rassemble quelque 6000 participants avec débats, conférences, sondages, études de cas, et rapports de synthèse, à travers six campus sur trois continents.[1]
- Village mondial et marché global
La Mondialisation est un processus de très longue période et qui résulte des échanges migratoires et des flux d’informations. La Globalisation, par contre, représente la prédominance de l’économie de marché, fondée sur la compétitivité et le profit, dans tous pays et toutes activités de production et d’échange de biens et services. Ce qui est devenu global, c’est le champ entier de l’économie marchande qui recouvre l’ensemble des activités socio-économiques (industrie, finance, santé, éducation, art et culture…) et les transforme en transactions !
La première prend son essor au Moyen-Age, se développe avec les progrès technologiques, et s’intensifie avec la révolution numérique. Dans ce « village planétaire » où l’autre est mon voisin, une véritable conscience mondiale émerge et revendique une meilleure gouvernance et une nouvelle citoyenneté. La seconde a émergé au XIX° siècle avec l’économie de marché capitaliste, et elle s’est accélérée depuis cinquante ans avec le libre-échange et la dérégulation. Une « Nouvelle économie », promouvant le capital humain et le développement durable devait éclore de la combinaison des nouvelles technologies et du cadre incitatif de la libéralisation économique. Depuis le début du millénaire, ce n’est pas la Connaissance qui s’est imposée mais plutôt l’Hyperfinance, dérégulée et globalisée.
- La stagnation séculaire : mythe ou menace réelle
Aujourd’hui, on ne peut plus arguer que, malgré son fonctionnement de centrifugeuse générant écarts de richesse et exclusion, la globalisation demeure une puissante machine à produire et donc à augmenter la taille de la richesse mondiale. Si la croissance économique a atteint près de 4% en moyenne depuis la seconde guerre mondiale, elle ne sera au mieux que de 2% jusqu’en 2060. Cinq forces structurelles contribuent désormais à la stagnation de la croissance globale :
- Le libre-échange a été un moteur puissant de développement jusqu’à la crise financière de 2007, avec un taux de croissance moyen du commerce double de celui du PIB. Depuis la crise, le protectionnisme se multiplie, les chaines de valeur se stabilisent, et le ralentissement de la Chine contribue à réduire le taux d’ouverture commerciale de la planète (ratio exports/PIB) à un niveau inférieur à celui de 2005, soit 28%.
- Une rupture dans le rythme d’expansion démographique intervient depuis une décennie, et la population active, et donc productive, va commencer à décroitre en Chine, en Russie, en Allemagne, en Espagne et en Italie, en Corée et au Japon. Beaucoup de pays vont devenir vieux avant d’être riches. Ce déclin a des conséquences dramatiques sur les perspectives de consommation et de financement des retraites.
- Les inégalités croissantes de revenus n’ont pas seulement une dimension morale mais bien économique car elles encouragent l’épargne de précaution aux dépens de l’investissement et de la prise de risque. Aux Etats-Unis, les 10% les plus riches monopolisent 50% du revenu national, et ce taux atteint 35% en Europe.
- Contrairement aux précédentes révolutions technologiques, celle de l’âge numérique n’a pas produit de choc d’investissement propice à un sursaut de productivité. Les technologies digitales augmentent sans doute le bien-être du consommateur mais sans stimuler la croissance. Cette dernière est plombée par une baisse des niveaux d’investissement dans presque tous les pays, développés ou émergents. En ce qui concerne l’automation, près de la moitié des emplois sont menacés par les perspectives de la robotique dans un proche avenir.
- Enfin, les niveaux de dette publique et privée, encouragée par des taux d’intérêt ultra-bas, créent une épée de Damoclès car la politique monétaire des banques centrales se resserrera, tôt ou tard. Les bulles bancaires, immobilières et boursières seront alors au point d’éclatement.
- Le libre-échange en question : Vers moins de croissance et davantage de régulation pour un développement durable ?
La globalisation est à la croisée des chemins. La menace de stagnation séculaire crée aujourd’hui de nombreux défis. Casser le thermomètre de la croissance focalisé sur le PIB marchand, et substituer une autre mesure du bien-être, n’est pas suffisant. Les impératifs de libéralisation économique et de libre-échange, - le « consensus de Washington »-, n’ont pas stimulé la croissance, et encore moins le développement socio-économique. Donner une perspective à la fois temporelle, socio-économique et éthique à la globalisation requiert un large consensus pour imposer aux forces du marché une régulation de grande ampleur sur le partage de la valeur ajoutée, sur la protection de l’environnement, et sur l’accès à la connaissance. Défi d’autant plus fort que gouvernements et institutions sont frappés d’un discrédit sans précédent.
Le risque aujourd’hui est celui d’une double dérive : d’abord celle d’un repli sur une « Economie de Yourte », société collaborative en rupture avec l’économie marchande et le travail salarié, mais sous la forme d’enclaves sans solidarité autre que celle qui unit ses cooptés. Ensuite, une « Economie du repli identitaire » propice au nationalisme, au protectionnisme commercial et migratoire, et donc aux extrémismes de tout bord. Le développement pas plus que la bonne gouvernance n’y gagneraient. C’est aux jeunes générations de relever ces défis en forgeant de nouvelles valeurs qui ne soient pas que mobilières.